Autant de situations, autant de juridictions pouvant être saisies :
  • juridictions civiles
     
  • juridictions pénales
     
  • juridictions administratives
     
  • Tribunal des affaires de sécurité sociale
     
  • CIVI

Parler du processus judiciaire suppose déjà d’écarter tout processus amiable qui représente 90% du règlement des accidents de la circulation.

Compte tenu de l’étendue du sujet, je me cantonnerai principalement au processus judiciaire en cas d’infraction pénale.

Plusieurs phases sont importantes pour la victime dans le processus judiciaire : le traitement de la responsabilité ou du droit à indemnisation, sujet dont je ne suis pas chargée aujourd’hui, l’expertise ayant pour objectif de déterminer les dommages et d’en évaluer la gravité, la phase d’indemnisation qui transforme ces dommages en préjudice et qui vise à leur réparation intégrale (sauf cas de la faute inexcusable de l’employeur).

Rappelons que la victime doit rapporter la preuve de son préjudice. Il est important de le lui expliquer puisqu’elle imagine, étant victime, que la réparation est due.

I - La Victime dans l’expertise

Quelque soit la nature du fait générateur, l’expertise est un moment difficile pour la victime : rappel des faits, rappel des souffrances qui ont suivi les faits.

Si dans le cadre de l’instruction pénale, la victime est reçue seule par l’expert, cela n’est plus possible dès qu’il s’agit d’un examen visant à déterminer le dommage en vue de l’indemnisation  où se trouve représenté le régleur. L’examen devient en effet contradictoire et amène côté assurance ou fonds de garantie la présence d’un médecin conseil. Il est indispensable que la victime soit assistée elle –même a minima par un médecin conseil, voire par son avocat dans le cas des dossiers assez important, ou lorsqu’un problème d’imputabilité se pose et dans tous les dossiers de responsabilité médicale.

Le médecin conseil de la victime doit bien entendu avoir vu cette dernière avant l’expertise, cela va de soi mais cela est contesté par le fonds de garantie qui refuse de prendre en charge les honoraires du médecin conseil pour la première visite unilatérale.

L’expert doit être spécialisé. Il n’est pas légitime de faire régler un dossier de traumatisé crânien par un généraliste.

Le médecin conseil et/ou l’avocat doivent être prêts à formuler des dires à expert pour éviter des demandes de contre-expertise qui peuvent d’ailleurs ne pas aboutir.

Une victime seule à l’expertise sera bien incapable au moment de la discussion, de faire valoir son point de vue sur la cotation des postes de préjudice. Comment pourrait-elle apprécier le taux de DFP, la durée du DFTT, le nombre d’heures d’ATP … alors que l’existence même de ces sigles lui est étrangère.

II - La victime et son indemnisation

Au-delà de l’indispensable écoute et empathie envers la victime, le droit du dommage corporel est un droit très technique dont le but est d’aboutir à la réparation intégrale du préjudice.

Cela exige de connaitre les ressorts de la technique de cette réparation :

  • un regard critique sur le rapport d’expertise et notamment sur certains postes souvent mal appréciés (tierce personne, incidence professionnelle, sur la question de l’état antérieur et des prédispositions ;
  • la nomenclature des postes de préjudice (ce qui est relativement simple depuis l’adoption de la nomenclature Dintilhac au civil et Lagier en administratif) ;
     
  • le rôle des tiers payeurs (organismes de sécurité sociale, assurances, mutuelles, état) et les postes sur lesquels opérer les déductions  avec un regard critique sur la position de nos hautes juridictions ;
     
  • la méthode de  chiffrage de chaque poste de préjudice ;
     
  • le choix du barème de capitalisation s’agissant des préjudices futurs
     
  • les modalités d’application du droit de préférence de la victime sur les organismes sociaux lorsqu’il existe un partage de responsabilité
     
  • Etc.

Qu’il s’agisse de viols, d’agressions, de responsabilité médicale ou d’accidents, la technique indemnitaire est la même, les mêmes barèmes médico légaux s’appliquent.

Nul doute que sur le chemin d’une indemnisation correcte de certaines victimes, il reste du chemin à parcourir.

Les victimes d’agressions sexuelles sont particulièrement défavorisées pour des raisons que nous avions tenté il y a quelques années de comprendre dans le cadre d’un numéro spécial de la Gazette du Palais consacré à ce sujet[1].

On l’a bien compris, dans cette complexité, le référentiel ou barème d’indemnisation n’a pas sa place. La diffusion d’un tel barème selon les propositions des sénateurs Béchu et Kaltenbach serait tout à fait défavorable aux victimes. Toutes les grandes associations de victimes se sont prononcées à de nombreuses reprises contre les référentiels dans des termes sans ambigüité.

Le législateur l’avait bien compris puisque la loi Lefrand votée le 10 février 2010 à l’Assemblée Nationale et toujours stagnante au Sénat avait balayé l’option référentiel pour adouber la base de données chiffrées.

Au demeurant la méconnaissance des chiffres est souvent ce qui amène les victimes à consulter ce qui nous permet d’agir sur bien d’autres aspects de l’indemnisation (le droit à indemnisation, expertise, valorisation de nombreux postes de préjudice…)

Il y a en effet une illusion manifeste à penser qu’une victime non accompagnée d’un médecin conseil et d’un avocat spécialisé pourrait obtenir la réparation  intégrale de son préjudice et les services d’aide aux victimes le savent, ce n’est pas le coût de ces prestations qui peuvent empêcher  l’accès des victimes à nos cabinets compte tenu du bénéfice indéniable de nos interventions.
 

III - La Victime devant la CIVI

Disons tout de suite qu’on ne peut être que satisfait qu’un système permette l’indemnisation de la victime d’infractions dans le cadre d’une réparation intégrale effective. Le Fonds de garantie chargé d’indemniser la victime se retournant contre l’auteur des faits.

Nous sommes également satisfaits du processus amiable prévu par la loi et encadré par le juge.

Ce point étant posé le système n’est pas à l’abri de critiques auxquelles il serait possible de remédier

 

  1. Critiques nécessitant une réforme législative
  • La prescription trop courte et surtout démarrant à compter des faits ou du jugement alors que la prescription doit prendre effet à compter de la consolidation de la victime comme dans tout le reste du dommage corporel ;
  • Le critère de gravité avec un certain flou entre les notions d’ITT  au sens pénal, et de DFT (qui a remplacé l’ITT au sens civil).
  1. Critiques liées au non- respect des textes
  • Le refus de la cour de cassation d’admettre les recours devant la CIVI des victimes de fautes inexcusables de l’employeur alors même qu’une infraction a été commise ;
  • Les délais non respectés : ainsi les articles 706-5 et R50-5 fixent un délai d’un mois pour que le juge rende sa décision après une demande de provision. Ce délai n’est jamais respecté ;
  • Les observations du Parquet non précédées par des écritures déposées au dossier comme l’art R50-18. Or majoritairement nous découvrons à l’audience la position du Parquet ;
  • L’énoncé de certains jugements correctionnels dans le cadre des accidents de la circulation qui visent la possibilité pour la victime de recourir à la CIVI alors que ce cas est exclu par la loi.
  1. Critiques liées aux pratiques
  • Délais trop longs, magistrats qui tournent ou manquent notamment devant la Cour d’appel de Paris;
  • Le rôle du Parquet
    • Comment comprendre que le Parquet (à Paris du moins) soit le représentant à l’audience du FGTI –  de nombreux jugements CIVI  en portent la trace. Ex… « le Ministère public s’en rapporte aux positions du fonds de garantie » ;
    • Est-il normal que le Parquet se retourne dès lors contre la victime pour favoriser les auteurs des faits à travers le FGTI, est-ce son rôle ?
  • Si l’on considère que le droit du dommage corporel est suffisamment complexe pour que les victimes s’adjoignent un médecin conseil et un avocat, est-il normal qu’il soit sursis à statuer sur les demandes d’article 700 jusqu’à la fin de la procédure ou que les sommes allouées soient misérables.
  • Question  sur la posture du juge. Le juge devant la CIVI (je ne parle pas du juge en appel où la présence de l’avocat est obligatoire) n’est-il pas influencé par le fait que de nombreuses victimes se présentent sans avocat. Ne pense-t-il pas qu’il n’y a pas lieu d’avantager dans les chiffrages celles qui ont recours à un avocat. Les indemnisations ne sont-elles pas tirées vers le bas.

IV - Les nouvelles embuches à venir très prochainement

Le rapport d’information sur les victimes d’infractions des sénateurs Béchu et Kaltenbach vient d’être rendu public.

31 propositions ont été diffusées.

Deux propositions concernent plus précisément notre table ronde

 -1- « de diffuser un référentiel national d’indemnisation des préjudices corporels, qui ne lierait toutefois pas le juge » ; cette proposition maintes fois énoncée ces dernières années a été refusée tant par le législateur dans le cadre de la loi Lefrand (qui n’a jamais été discutée au Sénat) que par toutes les associations de victimes. L ‘ANADAVI a, à de nombreuses reprises, alerté le Ministère de la Justice sur les risques de ces référentiels simplificateurs alors que la mise en place d’une base de données chiffrées avait été prévue par la Loi Lefrand et est tout à fait faisable. (l’ANADAVI, petite association, dispose d’une telle base de données pour les décisions et transactions obtenues par ses adhérents).

 - 2- « dès le stade du procès pénal, d’identifier les dossiers susceptibles de faire l’objet d’un traitement ultérieur par la CIVI et de recourir dans ce cas à des experts agréés par le FGTI pour la réalisation des expertises relatives à l’évaluation du préjudice de la victime ». Cette proposition est tout à fait inacceptable en l’état. Comment passe-t-on de l’expertise judiciaire réalisée par un expert désigné par un juge au recours à des experts agréés par le FGTI… les règles du contradictoire me semblent un peu oubliées, sauf à mettre en place un dispositif de type loi Badinter qui a fait ses preuves.

Il est probable que la réforme de la loi pénale sera l’occasion pour le Sénat d’adopter quelques-unes de ces propositions, nous souhaitons dès lors vivement qu’une concertation soit mise en place pour que parmi ces propositions nous puissions donner un avis éclairé par nos pratiques transversales aux côtés des associations de victimes ».


[1] Gaz. Pal. des 8 et 9 juillet 2009, n° 189 à 190.